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III- Compte rendu du "5 à 7" : la gréve

Intervention introductive de Guy Groux, directeur CNRS au CEVIPOF,et de Jean-Marie Pernot,chercheur à l’IRES

LA GRÉVE Guy GROUX et Jean-Marie PERNOT

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J-M Pernot J-L Villeneuve G Groux

Extraits de l’intervention de Guy Groux :

Ce n’est que depuis une quinzaine d’années que la grève est devenue un objet de travail pour les chercheurs en sociologie. L’ouvrage présenté part du 19è siècle pour aborder les tendances actuelles des conflits en entreprise.
Comment la situation évolue-t-elle depuis vingt ans ?
La grève est un phénomène en reflux dans la quasi-totalité des pays du monde où elle est autorisée. Comment l’expliquer ? Deux grandes interprétations de ce phénomène s’opposent : pour la science politique, notamment anglo-saxonne, les sociétés capitalistes sont pacifiées, la grève aurait donc de moins en moins de raisons d’exister, elle ne serait qu’un dysfonctionnement, un raté du dialogue social, une anormalité dans notre société. Cette thèse reste influente mais de plus en plus critiquée. L’approche différente défendue par les deux auteurs notamment se veut empirique et se propose de réfléchir au lien entre chômage et grève, en soulignant que depuis trente ans, le contexte de chômage massif a eu pour effet de faire éclater les anciens collectifs de travail sur lesquels reposait la grève.
A l’origine, la grève était une coalition des salariés constituée pour contrebalancer la mise en situation de concurrence des salariés entre eux par le capitalisme. Au-delà de la question même de la reconnaissance du droit de grève, le compromis capitaliste était fondé ainsi : la grève constitue une coalition de salariés en échange de la reconnaissance de la concurrence capitaliste. Le chômage a remis en question ce compromis. C’est parce que de nouvelles formes de gestion de l’emploi ont été mises en place (intermittences, précarité continue, flexibilité, raccourcissement des carrières professionnelles) que les formes de mobilisation collective ont été remises en cause.
Ce n’est donc pas un hasard que c’est dans les secteurs où le travail est le plus garanti que ces formes demeurent le plus.
La grève reste-t-elle toujours centrale dans les actions et mouvements collectifs ? Le nombre de manifestations liées au travail dépasse de loin toutes les autres causes de conflit.
A quelles conditions la grève a-t-elle été définie comme instrument central dès le 19è siècle ? C’est quand la grève posait la question de la transformation radicale de la société ; avec l’inscription de la grève dans le droit c’est le rapport de la grève avec la transformation sociale qui a changé.
Ce qui caractérise la grève aujourd’hui c’est qu’elle veut défendre ce qui existe en termes de droit et non pas produire du changement dans le droit ; elle est devenue un mode de défense d’emplois menacés.
La grève aujourd’hui n’est plus centrale et se confond dans les entreprises avec des conflits, des micro-conflits larvés prenant beaucoup plus la forme de protestations individuelles.

Extraits de l’intervention de Jean-Marie Pernot

Les grands moments de la grève depuis 1945 :
  les années 1945-1950 : grèves de masse, parfois violentes, suivies, longues
  déclin des années1950-1962 : poids des guerres coloniales
  1962- fin des années70 : à partir de la grève des mineurs (1963) c’est une période d’épanouissement qui culmine dans les années1971-75 avec le plus grand nombre de jours de grève et de personnes impliquées. La grève de la sidérurgie de 1979 clôt cette période.
  A partir des années 80 fin de la grève généralisée interprofessionnelle et déclin des grèves de deux jours et plus.

A la Bourse du Travail...

Les taux de participation aux grèves sont appréhendés à partir des remontées des inspections du travail et des remontées de la direction générale de la Fonction publique en précisant qu’il n’y a pas de décompte des jours de grève dans les fonctions publiques hospitalières et territoriales, la fonction publique d’Etat procédant par sondages. C’est le secteur des transports qui constitue le seul secteur professionnel bien suivi.
Depuis 30 ans, on peut mettre en évidence quelques grandes tendances :
  montée des tensions dans la Fonction publique et baisse dans le secteur concurrentiel ; cette montée correspond avec les politiques de compression de la dépense publique
  baisse des conflits généralisés et essaimage dans les entreprises
  diversification des formes conflictuelles ; baisse des grèves de plus de 2 jours, remontée d’autres formes (grèves de moins de 2 jours, débrayages, grèves du zèle, refus collectifs d’heures supplémentaires) ; dans les années 1990-2000, ces formes nouvelles n’accompagnent plus la grève mais ont tendance à s’y substituer. Le déclin de la grève ne signifie pas le déclin des mouvements de protestation dans la société.

Au niveau européen, quelles correspondances peut-on remarquer ?
  des grandes séquences transversales de mobilisation (exemple : 1968)
  la définition juridique comme les capacités de mobilisation ne sont pas les mêmes partout en Europe ; en France, on a un régime très libéral de la grève alors qu’en Allemagne, aux Pays-Bas et au Royaume- Uni on constate une restriction du droit de grève
  la France n’est pas le pays le plus touché par les grèves et cela quelles que soient les périodes concernées, ainsi sur la période 1998-2004 c’est le Danemark qui figure en tête.

Débat :

- Existe-t-il des éléments de comparaison avec le Japon ?
On constate une baisse massive et spectaculaire de la conflictualité à partir des années 70 quand dans le même temps elle remonte aux U.S.A.

  Peut-on parler d’un bénéfice de la grève à propos de l’évolution des lois en Roumanie ?Cette grève a constitué un enjeu symptomatique concernant les conditions de travail mais elle n’a pas eu d’effet sur le droit du travail.

  Des études ont-elles été faites sur les rapports éventuels entre les symptômes individuels de maladies professionnelles et la baisse de la conflictualité ?
On constate que sur la période 1996-1998, 20% des entreprises de plus de 20 salariés sont concernées par des micro-conflits, ce chiffre passe à 30% pour la période 2002-2004. Il y a indiscutablement une montée du stress, de l’absentéisme, des maladies au travail qui traduisent l’échec de la prise en charge individuelle du salarié au sein de l’entreprise.

  Existe-t-il des études d’actions du type « grève du zêle » ou du type « effectifs-emplois » ?Ces évènements ne sont pas observés et ne font pas l’objet d’étude.

  Que peut signifier l’extension du contenu sémantique du mot grève ?
« La grève, c’est un blanc dans la production ». C’est parce que cette conception s’est avérée au cœur des mobilisations collectives que d’autres mouvements sociaux se sont emparés de cette symbolique.

  Peut-on mesurer les résultats des grèves ?Globalement, les grèves sont efficaces sur les questions salariales.

  Peut-on mettre en évidence les principaux thèmes de conflits ?
D’après les documents de la D.A.R.E.S, ce sont les conflits salariaux qui sont en tête (40%), le chiffre le plus bas concerne les conditions de travail alors qu’elles se dégradent le plus.

Guy Groux

  Qui sont les grévistes ?1906-1920 : grèves massives ouvrières
1936 : premières grèves des employés
1953 : 1a grande grève des fonctionnaires
1968 : c’est la première fois où ouvriers et employés du public et du privé sont ensemble dans la grève
Aujourd’hui : le plus grand nombre de grèves concerne la Fonction publique.

Les grands conflits post-68 n’ont pas été le fait de « la nouvelle classe ouvrière », mais des OS et aujourd’hui des sans-papiers, des caissières des commerces, conflits qui touchent le cœur même de la société comme elle fonctionne aujourd’hui (jeunes, précaires, sans-papiers, travailleurs pauvres).

  Peut-on parler de diminution de la mobilisation collective ?
La grève n’a plus la même portée, de nouveaux territoires de conflictualité émergent, un esprit de résistance demeure.

  Comment apprécier les propos actuels de certains ministres dévalorisant la grève comme un acte passéiste ? Aujourd’hui, on n’est plus seulement dans une bataille auprès de l’opinion publique. Il s’agit avant tout d’une bataille idéologique ; on a affaire de plus en plus à des ministres militants très différents de l’image traditionnelle de hauts fonctionnaires représentant l’Etat. C’est une question qui se pose partout en Europe. C’est la question des retraites (2003) qui a fait changer le rapport entre les accords sociaux et les décisions politiques. Aucune réponse syndicale européenne n’a pris forme à ce jour concernant cette évolution.

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