Site de l'Irea-Sgen-CFDT - Institut de recherches, d'étude et d'animation
Tibune (Libération du 19/02/09) de G Dorival, P Fridenson et JM Jolion

Pourquoi Darcos s’en prend à l’Université

Tribune parue dans Libération le 19-02-09

Pourquoi Darcos s’en prend à l’Université

Gilles Dorival langues anciennes, professeur à l’université d’Aix-Marseille-I et membre de l’Institut universitaire de France,

Patrick Fridenson historien, directeur d’études à l’EHESS

et Jean-Michel Jolion informaticien, professeur à l’université de Lyon.

Normalement un ministre de l’Education nationale se préoccupe d’avoir la meilleure formation possible pour les futurs professeurs des écoles, collèges et lycées. Est-ce le cas de l’actuel, M. Darcos ? En réalité non. Son objectif essentiel depuis juin 2008 est d’arriver à supprimer les 10 000 postes de stagiaires de la formation actuelle. Tout le reste est littérature, ou presque. Cette opération, Darcos l’a dissimulée sous un édifice complexe appelé mastérisation du recrutement des enseignants. Il est si pressé d’arriver à ses fins qu’il a obtenu du gouvernement que soient imposés aux universités (et, en leur sein, aux IUFM) des modalités absurdes et des délais précipités. Au fond, peu importe les contenus, la qualité, la collégialité de réflexion, l’autonomie intellectuelle de préparation de ce que doit être une formation (les « maquettes »). Il faut que les universités filent droit, travaillent au pas de charge, tiennent à tout prix les délais.

Le diktat de Darcos s’est heurté à une résistance de plus en plus massive. La grande majorité des académies n’ont pas obtempéré. Darcos, qui est déjà, on le sait, dans une situation difficile, s’est dit qu’il pouvait faire le bon élève de l’Elysée et a tenu jeudi sur une grande radio un discours de pure provocation. Il affirme qu’étant l’employeur, il a tous les droits sur ses « fournisseurs », les universités. Y a-t-il encore un gouvernement, et celui-ci a-t-il jamais parlé d’autonomie des universités ? Il affirme que, si les universités ne livrent pas ses chères maquettes, il trouvera d’autres fournisseurs. Pourquoi une telle forfanterie, alors que l’expertise nécessaire n’existe pas ailleurs ? Son calcul est simple. Il veut vouer les universités à la vindicte publique (il a un illustre modèle sur la recherche). Il veut opposer les formateurs des universités aux enseignants en poste dans les premiers et seconds degrés, ainsi qu’à ceux de l’enseignement privé qui font appel par convention aux IUFM. Il veut peut-être détourner l’attention de ses difficultés ou de ses manœuvres dans son propre domaine, et une fois de plus renvoyer sur l’enseignement supérieur une crise qu’il a lui-même engendrée depuis le début de cette affaire. Est-ce suffisant comme programme politique, Monsieur le ministre ? Et l’avenir des enfants ?

Enfin, sur la formation des enseignants, il a multiplié les contre-vérités. Les professeurs stagiaires des premier et second degrés bénéficient tous d’une formation en alternance d’une année au sein des IUFM. Ils ne se contentent pas de « remplacer quelques professeurs absents ». Ceux du second degré assurent un service en responsabilité de six à huit heures par semaine. Ceux des écoles bénéficient de deux stages en responsabilité dans deux cycles de l’école primaire et d’une journée de présence hebdomadaire dans un autre cycle au long de l’année. Le reste du temps est occupé par la formation à l’IUFM où les programmes sont conformes aux attentes du ministère (dix compétences professionnelles détaillées). Il est pour le moins paradoxal d’entendre M. Darcos moquer les « théories générales de l’éducation » que son ministère contribue à diffuser dans le cadre de la formation professionnelle de ses agents. C’est donc à l’existence de cette vraie professionnalisation par l’alternance ainsi qu’à la rémunération de fonctionnaires stagiaires que le ministre s’attaque. Loin de garantir la formation professionnelle des nouveaux enseignants, la réforme fait peser cette dernière sur les universités, sans que leur soient donnés les moyens techniques et financiers. Dans le même temps, le ministère n’est pas capable de dire combien d’étudiants engagés dans la formation feraient des stages et dans quelles conditions.

Les différentes catégories d’enseignants-chercheurs et d’enseignants des universités sont profondément solidaires de leurs collègues des écoles, collèges et lycées. Personne ne peut donc se laisser abuser par la provocation délibérée de Darcos. Celui-ci ne peut ignorer que, de par la loi, la formation des maîtres est une des grandes missions des universités. En attendant qu’une fois de plus le ministre soit rappelé aux devoirs de sa charge, il n’y a qu’une solution, le report de cette mastérisation-là et une remise à plat. Darcos a tenté vendredi 13 une ultime manœuvre : reporter d’un mois et demi le délai de remise des maquettes. La chance ne sera pas de son côté. Elle sera du côté des universités : il échouera. Il faudra ensuite reconstruire sur les décombres de son opération la formation des maîtres universitaire et professionnalisée qui est nécessaire. C’est une question centrale pour les étudiants, les élèves, les parents.

Les auteurs sont membres du Sgen-CFDT.


(Ces trois universitaires sont membres du conseil scientifique de l’Iréa)




forum